Refus d’inspection : c’est possible ! (Lettre)

samedi 19 novembre 2016
par  Sud Education CA

L’inspection n’est pas une obligation. Beaucoup trop de personnels le vivent comme une fatalité, une épée de Damoclès qui plane au-dessus de leur tête, prête à trancher celles des « mauvais-es » enseignant-e-s ! Il est pourtant possible d’y couper, de refuser ce moment vécu par certain-e-s comme un moment de torture mentale et morale.

Pourquoi refuser ?

Tout d’abord par principe, pour marquer son opposition à ce système critiquable sur bien des points.

Car, qu’est-ce que l’inspection ?
Un moyen de s’améliorer dans son métier, dans ses pratiques pédagogiques ?

Certainement pas ! Pourtant, l’inspection affirme avoir le devoir de conseiller les professeurs, d’impulser et d’encourager les « bonnes pratiques ». On appréciera toute la subjectivité de cette notion de « bonne pratique » laissée à l’appréciation de l’inspecteur/trice bien entendu. Tout est question de point de vue (un « bon » indien est un indien mort disait le général Sheridan !). Et la liberté pédagogique, me direz-vous ? La réponse est on ne peut plus claire : elle « ne sera pas le prétexte de pratiques qui font obstacle à l’acquisition des savoirs ». Impossible dès lors d’avoir un point de vue divergent de celui du chef.

Et la légitimité de ces conseils est très relative. D’abord parce qu’ils sont souvent prodigués par des personnes qui ont quitté depuis longtemps le terrain ou ne l’ont connu que très peu. Ensuite, parce qu’une observation d’une heure dans la classe, tous les trois ans au mieux, ne saurait suffire à avoir une vue d’ensemble de la pédagogie de l’enseignant-e et donc à l’améliorer. Enfin, parce que le rôle de conseil entre en contradiction avec deux autres rôles de l’inspection : vérifier l’application des réformes et noter pour conditionner l’avancement de carrière. Impossible d’avoir des échanges constructifs avec son supérieur hiérarchique quand on sait que le seul moyen d’avoir une bonne note est de dire ce qu’il ou elle a envie d’entendre. De plus, ce qu’il ou elle a envie d’entendre dépendra du gouvernement en place et pourra donc être totalement différent d’une inspection à l’autre !

Sans parler des inspecteurs vie scolaire, qui inspectent les Conseillers Principaux d’Éducation et les documentalistes, sans jamais avoir été CPE ou documentalistes eux-mêmes.

Un moyen de contrôler le travail des enseignants ?

Certain-e-s pensent que sans contrôle hiérarchique, les travailleurs/euses seraient paresseux-ses, non impliqué-e-s, bref, feraient mal leur travail. Nous sommes convaincu-e-s du contraire. C’est l’infantilisation qui déresponsabilise les enseignant-e-s, les fait parfois rentrer dans le jeu du chat et de la souris.
Et même en suivant cette logique, et pour la raison évoquée précédemment d’espacement des moments d’évaluation, l’inspection ne peut de toutes façons pas assumer ce rôle de contrôle. Les expériences personnelles de chacun sont suffisamment parlantes. Qui prépare son cours lors de
l’inspection de la même manière que d’habitude ? On a tous rencontré des acharné-e-s de la photocopieuse, en vue de la rencontre fatidique, à grands renforts de tirages, s’arrêter tout net une fois l’inspecteur sorti de la classe. A l’inverse,
certains estiment ne pas avoir à fournir un travail inutile juste pour les beaux yeux du chef et continuent de travailler comme ils en ont l’habitude. Ceux-là se font presque systématiquement descendre, indépendamment de la qualité de leur travail.

Une note objective pour progresser dans sa carrière ?

La notation n’est pas objective, tout le monde s’accorde là- dessus. Il suffit de voir les écarts énormes sur une même copie lors d’examens tels que le bac par exemple. De plus en plus d’enseignant-e-s la refusent comme système d’évaluation pour leurs élèves : pourquoi alors l’accepter pour nous ? En quoi l’évaluation chiffrée et le classement qui s’ensuit permettent-ils d’améliorer son travail ? D’autant plus qu’une mauvaise note décourage plus qu’elle n’encourage.
La note est arbitraire : elle dépend de l’humeur et des lubies de l’inspecteur/trice. Les Inspecteurs d’Académie le concèdent : « nous pratiquons une évaluation chiffrée contrainte par une grille liée aux promotions et qui ne s’appuie sur aucun référentiel explicite » (cf. Revue du Syndicat des Inspecteurs d’Académie de janvier 2014).

La note n’évalue pas véritablement le travail, mais le degré d’obéissance de l’enseignant-e et sa capacité à acquiescer aux directives de la hiérarchie.
Trop d’aspects biaisent ce moment « d’échange » (qui n’en est souvent pas un) pour qu’il puisse être constructif : le rapport hiérarchique et l’infantilisation qui en découle, la notation « à la tête du client », le décalage fréquent entre les demandes institutionnelles et la réalité du terrain.

Comment refuser l’inspection et que se passe-t-il ?

L’inspection comme mode d’évaluation n’apparaît dans au- cun texte réglementaire. Seule la note est encore obliga- toire, par la volonté de notre ministère, qui n’y a pas renon- cé contrairement à d’autres (ex. : la Culture). Vous pouvez faire savoir à votre supérieur votre souhait de la refuser au moment où vous en êtes informé-e, par voie hiérarchique (une lettre type est disponible à la fin de ce document). De la part de l’inspecteur-rice, plusieurs attitudes sont alors envisageables : certain-e-s ne donneront même pas suite, ou se contenteront de transmettre ce refus ou encore ne feront pas de vagues pour se faire oublier de leur hiérar- chie. D’autres viendront inspecter votre classe en votre ab- sence et celle de vos élèves, autrement dit « sur pièces ». Ils et elles viendront donc visiter une classe vide. Les plus virulent-e-s, cas rarissimes, tenteront une inspection for- cée : pas de panique ! Il vous suffit d’interrompre votre cours en restant dans la classe et de lui en confier la res- ponsabilité, en attendant qu’il ou elle parte.
La démarche dans le second degré est relativement ana- logue. Il faut informer le chef d’établissement (également supérieur hiérarchique, qui note administrativement), qui transmettra. Le refus entraînera probablement une baisse de la note pédagogique, et parfois de la note administrative.

Les seuls documents que vous aurez obligation de fournir sont les suivants :

  • Dans le premier degré : le registre d’appel, l’emploi du temps de la classe (affiché N’IMPORTE OU dans la classe). Vous devez communiquer aux parents un livret scolaire (aucun modèle n’est imposé) par trimestre.
    Le cahier-journal n’est en aucun cas une pièce obligatoire. Il a été supprimé par Jules Ferry lui- même et jamais rétabli officiellement.
  • Dans le second degré : faire l’appel, remplir le cahier de texte et les bulletins.
    La note ne peut pas être zéro. Il arrive même que l’on garde sa note antérieure, parce que l’inspecteur-rice n’a pas fait remonter le refus à sa hiérarchie.

Qu’a-t-on à y perdre, qu’a-t-on à y gagner ?

Pourquoi s’infliger cela, quand les inspecteurs eux-mêmes critiquent ce mode d’évaluation ? On peut ainsi lire dans la revue du Syndicat des Inspecteurs d’Académie (7 janvier 2014) qu’il existe de nombreuses « distorsions » dans l’inspection individuelle, que ce soit la démarche en elle- même jugée obsolète, le côté managérial dénué de sens ou bien les rôles qui entrent en contradiction comme on le soulignait précédemment :

« En observant une séquence d’enseignement et en s’entretenant une heure avec l’enseignant, l’inspecteur doit à la fois vérifier la mise en œuvre des programmes (objectif de contrôle), mesurer l’expertise scientifique, pédagogique et didactique des enseignants (objectif d’évaluation), apporter des conseils (objectif de formation). Ces trois objectifs visés en un seul acte peuvent paraître antagonistes, d’autant plus qu’ils sont davantage subis que partagés par l’intéressé-e qu’est l’enseignant-e, qui perçoit ce face à face pédagogique comme avant tout une évaluation sommative et une atteinte à sa liberté pédagogique... et donc distorsion... »

La seule conséquence du refus d’inspection peut être financière. En choisissant de ne pas être inspecté-e, et donc mal noté-e, on choisit de n’avancer qu’à l’ancienneté, donc des augmentations de salaire au rythme le plus lent. Une conséquence certes non négligeable. Mais accepter l’inspection, même si l’on a une bonne note, ne garantit pas d’avancer plus vite : ceci est en réalité affaire de quotas. Seul un pourcentage d’enseignant-e-s, défini au préalable, passera à l’échelon supérieur. Injuste, n’est-ce pas ? On connaît même des collègues qui, malgré leur refus d’inspection, continuent de passer au grand choix, ayant conservé leur note antérieure, car l’inspecteur-rice n’a pas fait remonter le refus auprès de sa hiérarchie !
Mais si la conséquence financière n’est pas négligeable, il y a surtout beaucoup à gagner : LIBERTE, SERENITE, DIGNITE.

  • Liberté : on l’a déjà dit, la bonne note d’inspection sera bien plus souvent le fruit de l’obéissance et du conformisme aux directives qu’une réelle évaluation du travail.
  • Sérénité : le temps d’inspection et les moments qui le précèdent sont considérés par beaucoup comme un moment de stress intense : peur de mal faire, d’être mal jugé, que son travail ne soit pas reconnu (et pourtant, on l’a déjà dit, quelle légitimité à cette reconnaissance par l’inspection ?)...
  • Dignité : le rapport hiérarchique instaure une infantilisation dégradante, la plupart du temps vécue par les collègues comme une véritable humiliation, pouvant aller jusqu’à la dépression ou la démission.

Ne soyons malgré tout pas dupes : il ne s’agit pas là d’un plaidoyer pour supprimer l’inspection, mais de la conserver en en modifiant seulement les modalités.

Pour passer du management à l’autogestion des établissements

Si un regard extérieur et utile, il ne peut aller de pair avec l’existence d’un rapport hiérarchique et doit être déconnecté de tout avancement méritocratique, quel qu’il soit.

SUD éducation revendique donc l’avancement de toutes et tous au rythme le plus rapide, indépendamment de toute évaluation. Nous refusons la mise en concurrence des personnel-le-s par la notation qui est à dénoncer. Que ce soit pour les élèves, ou pour les personnel-le-s de l’éducation, le système éducatif français repose sur un principe de compétition et de classement, qui ne peut être qu’arbitraire, inégalitaire et donc contre-productif.

D’un point de vue pédagogique, le temps de concertation des équipes doit être augmenté (ce qui est compatible avec une diminution du temps de travail). Il faut substituer au contrôle épisodique, partiel et subjectif de l’inspecteur le regard de l’équipe sur elle-même. Si un collègue connaît des difficultés, c’est toute l’équipe qui doit les prendre en charge et trouver une solution collective.

La gestion des établissements doit se faire de manière autogestionnaire, avec répartition des tâches et rotations. Cela existe déjà dans d’autres pays, tels l’Espagne, où les fonctions administratives sont confiées à des personnel-le- s élu-e-s parmi leurs pairs en ne bénéficiant que d’une décharge de service.
Aucune émancipation réelle n’adviendra tant qu’il y aura des rapports de subordinations acceptés ou subis. Nous croyons résolument en l’égalité de toutes et tous.

Exemple de lettre de refus d’inspection

À Madame/Monsieur l’Inspectrice/Inspecteur de DISCIPLINE
s/c Madame/Monsieur le Chef d’établissement
À Madame/Monsieur l’Inspectrice/Inspecteur de l’Éducation Nationale
s/c Monsieur le/la DIrectrice/Directeur

Objet : refus d’inspection.

Madame/Monsieur l’Inspectrice/Inspecteur,

Partisan d’une réforme profonde du système éducatif, avec le soutien de mon organisation syndicale et conformément à la note de service du 13 décembre 1983, je vous informe de mon refus de subir une inspection pour les motifs suivants :
-  Parce que les interventions d’un inspecteur ne sauraient remplacer la formation continue
-  Parce que l’inspection n’apporte aucune réponse aux difficultés de mon métier
-  Parce qu’un IA/IPR ne peut être à la fois supérieur hiérarchique et conseiller formateur
-  Parce que je ne conçois pas d’évaluation de l’action éducative par quelqu’un qui n’enseigne plus
-  Parce qu’il ne saurait y avoir de collaboration pédagogique en dehors du cadre collectif et égalitaire d’une équipe d’enseignants et de collègues
-  Parce que l’évaluation d’un enseignant par un unique inspecteur est forcément soumise à la subjectivité de celui-ci
-  Parce que l’inspection-notation est une institution rétrograde qui entraîne la soumission, l’infantilisation, la division des personnels, renforce leur isolement et cautionne l’immobilisme

Je vous prie d’agréer, Madame/Monsieur l’Inspectrice/Inspecteur, l’expression de mes sincères salutations et mon attachement au service public de l’Éducation Nationale.

Signature


Documents joints

Lettre refus d'inspection
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