Lesbophobie et invisibilisation des lesbiennes

vendredi 15 avril 2022
par  Sud Education CA


1) L’invisibilisation des lesbiennes dans les luttes féministes

De nombreuses militantes lesbiennes mènent un combat féministe. Il y a pourtant en retour peu de prise en compte des problématiques lesbiennes par les militantes féministes hétérosexuelles. Ce manque d’intérêt confine parfois à l’hostilité.

Des lesbiennes qui ont participé aux mouvements féministes :

La philosophe Monique Wittig (La pensée straight), la sociologue Christine Delphy, la réalisatrice Barbara Hammer, l’essayiste Audre Lorde, la dessinatrice Alison Bechdel, les comédiennes Kristen Stewart et Adèle Haenel, Adrienne Rich (1981)…

Dans les mouvements féministes des années 70, que ce soit en France au sein du MLF, ou aux États-Unis avec NOW, la participation des lesbiennes a été essentielle. Elles étaient non seulement présentes dans les luttes pour le droit à l’avortement ou l’accès à la contraception mais elles étaient aussi engagées dans la lutte contre l’invisibilisation du travail des femmes dans la sphère domestique (rémunération du travail domestique).

Dans La Contrainte à l’hétérosexualité (1980), Adrienne Rich mène une réflexion critique sur l’hétérosexualité. Elle y pense l’hétérosexualité comme une institution sociale qui contraint toutes les femmes, s’articulant notamment au travail domestique ou à la sexualité entre autres choses.

L’expérience de Monique Wittig au sein du MLF est emblématique. Elle est l’une des co-fondatrices du mouvement. Pourtant, les revendications spécifiques aux lesbiennes qu’elle portait ont été écartées. Ilana Eloit, chercheuse au CNRS dit : "Il y a des archives de Monique Wittig conservées à l’université américaine de Yale, où elle explique que son expérience au sein du MLF a été très dure, qu’elle a été forcée au silence par les militantes féministes, qui empêchaient les lesbiennes d’être visibles en tant que lesbiennes. Et donc, qui l’ont sans cesse empêchée de politiser et de revendiquer cette identité lesbienne au sein du MLF". De la même manière, dans Debout ! Une histoire du mouvement de libération des femmes 1970-1980 ( 1999), la cinéaste suisse Carole Roussopoulos donne la parole à plusieurs lesbiennes. Celles-ci racontent leur désillusion progressive à l’égard des mouvements féministes auxquels elles participaient. Du côté des femmes hétérosexuelles pour des combats qui leur étaient étrangers ( contraception, avortement), elles ont été renvoyées à leur particularisme par ces mêmes camarades quand il s’est agi de porter leurs revendications en tant qu’homosexuelles.

Aux Etats-Unis, au sein de NOW (National Organisation of Women), la prise de position de Betty Friedan, autrice de The feminine mystique (La Femme mystifiée) est significative. La présidente de l’organisation soutient l’idée que les lesbiennes seraient une menace pour le mouvement féministe et qualifie cette idée de "lavender menace".

Ces différents rejets entraînent la création de groupes autonomes comme Le Lavender menace dont le nom est une reprise ironique de l’expression de Friedan par les fondatrices du groupe. Rita Mae Brown, avec des membres du groupe Lavender menace, organise un happening lors d’un congrès de NOW où elles manifestent leurs idées en portant un T-shirt mauve. Les Gouines rouges en France s’autonomisent non seulement du MLF mais aussi du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) car elles y sont victimes de misogynie de la part de leurs camarades gays.

Dans les milieux militants contemporains, les lesbiennes sont encore victimes d’une double invisibilisation : d’une part, au sein de mouvements féministes parfois réticents à porter des revendications spécifiques aux lesbiennes, d’autre part au sein de mouvements LGBTQI+ dominés par les militants gays.

Au-delà de l’absence de revendications spécifiques aux lesbiennes, on peut trouver dans les milieux militants féministes universalistes, la reprise de stéréotypes lesbophobes sur les lesbiennes qui sont accusées d’être "anti-hommes" et partisanes de la "guerre des sexes".

Ainsi Alice Coffin a été cyberharcelée à la suite de la sortie de son livre Le génie lesbien. Ces propos ont été caricaturés et déformés par la fachosphère mais aussi par des personnalités de gauche, que ce soit dans la presse écrite, audiovisuelle, radiophonique ou sur internet.

Dans la continuité historique d’organisations comme les Gouines rouges, il existe aujourd’hui des associations féministes en non mixité choisie LBT, comme l’association FièrEs, ou les Lesbians of Colors (LoCS) par exemple. L’EuroLesbianCon rassemble des organisations, des associations et des mouvements lesbiens à l’échelle européenne pour créer des solidarités militantes. Des initiatives comme la LIG (Lesbiennes d’Intérêt Général) permettent le financement participatif de projets.

On peut noter aussi qu’au-delà de la sphère militante, l’invisibilisation des lesbiennes se traduit aussi par leur invisibilité dans les médias et la culture populaire (séries, films). Cette invisibilisation se traduit également de manière concrète : l’absence de diffusion commune des digues dentaires reflète l’invisibilisation des lesbiennes. Leur vie sexuelle n’est pas jugée digne d’intérêt, même monétaire, par une société pourtant capitaliste.


2) La lesbophobie

Selon le rapport 2021 de SOS Homophobie, les manifestations les plus fréquemment rapportées de lesbophobie dans les témoignages reçus sont le rejet (72%), les insultes (44%), le harcèlement (29%) et les menaces (22%). Ces discriminations ont lieu dans la sphère familiale, mais aussi dans le voisinage, les lieux publics et sur internet. De plus, 10% d’entre elles surviennent sur le lieu de travail.

Être visible (dire qu’on est lesbienne, se tenir par la main ou s’embrasser dans la rue), c’est donc s’exposer en permanence à ces discriminations lesbophobes.

En réponse à ces violences répétées se met parfois en place une invisibilisation subie : certaines préfèrent ne pas être out pour ne pas risquer la lesbophobie et ses répercussions sur leur vie.
3) Au travail

 Enquête sur la visibilité des lesbiennes et la lesbophobie (2015) par SOS Homophobie
- Enquête Femmes et homosexuelles au travail (2009) par l’Autre Cercle

De manière générale, on constate une hausse de toutes les formes de manifestations de LGBTphobies sur le lieu de travail, avec une banalisation des propos et des actes LGBTphobes, souvent sous-couvert de liberté d’expression.

Le cadre professionnel est souvent perçu comme anxiogène et peu sécurisant. Celles qui taisent leur orientation sexuelle craignent l’outing (révélation de l’orientation sexuelle ou du genre d’une personne sans lui demander son avis). Et même lorsque les personnes sont out, elles gardent conscience que l’ambiance de travail et le degré d’acceptation peuvent changer avec l’arrivée d’un·e autre collègue, supérieur·e hiérarchique… De fait, le coming out doit toujours être renouvelé, à chaque nouveau·elle collègue. L’hétérosexualité présumée libère de la nécessité de verbaliser le fait d’être hétérosexuel·le, tandis qu’elle oblige à déclarer son homosexualité pour celles qui ne voudraient pas passer pour ce qu’elles ne sont pas.

L’invisibilité pèse sur la sociabilité avec les collègues, la vie conjugale étant un sujet de conversation récurrent. On fait parfois le choix de cacher sa vie personnelle, afin de ne pas risquer de subir la discrimination. Cela va toutefois souvent de pair, en contrepartie, avec une moindre intégration sur le lieu de travail, si ce n’est une mise en retrait. Deux lesbiennes sur trois dans l’enquête de l’Autre cercle disent être « invisibles » au travail (contre 1 gay sur 2 dans une enquête précédente). Cet anonymat sexuel est d’autant plus difficile à maintenir que les questions sur la vie privée des femmes sont fréquentes (63% des répondantes), plus que pour les hommes. Beaucoup de lesbiennes adoptent des stratégies d’évitement pour ne pas mentionner une éventuelle compagne, en utilisant le pronom neutre « on » ou le terme « amie » dont on n’entend pas le féminin, en éludant les questions, voire en laissant croire à un partenaire masculin.

Ce qui doit nous interroger, c’est qu’à peine 10% des victimes se tournent vers un syndicat.

4) Lesbophobie directe

La lesbophobie directe se manifeste par des moqueries et des blagues déplacées dans 48% des cas, selon enquête 2015 de SOS homophobie. Ainsi les lesbiennes butchs subissent-elles des remarques sur leur apparence physique, jugée trop masculine. Les lesbiennes d’expression de genre plus "féminine" voient pour leur part leur homosexualité mise en doute : "Tu es trop féminine pour être lesbienne", " Tu n’as pas « trouvé le bon »", "C’est du gâchis"…

Les lesbiennes subissent aussi directement rejet (collègue ostracisée par ses pairs), insultes, harcèlement et outing auprès de client·es, de patient·es, d’élèves…

Elles sont victimes de discrimination dans leurs droits et dans l’évolution de leur carrière. Cela peut se traduire par le fait d’être exclue de projets ou de réunions de travail, par le fait de se voir refuser des promotions ou par le fait qu’on ne respecte pas leurs droits liés aux avantages sociaux du Comité d’Entreprise et leurs droits liés à la situation parentale (pour la mère sociale et non biologique).


5)Lesbophobie indirecte

De manière plus indirecte, la hiérarchie minimise souvent les actes lesbophobes, voire les couvre. Dans près de 70% des cas, selon l’enquête de l’Autre Cercle, aucune mesure n’a été prise contre l’agresseur·e. Trop souvent, les collègues témoins de lesbophobie refusent de témoigner ou ne réagissent pas verbalement. Selon la même enquête, 40% des victimes n’ont reçu aucun soutien. Lorsque le soutien existe, il est très majoritairement le fait de femmes (seulement 8% d’hommes).

Le manque de soutien encourage les auteur·es d’actes lesbophobes et décourage les victimes à porter plainte ou simplement à signaler l’incident (près de 60% dans l’enquête de l’Autre cercle) (Parmi les victimes, plus de la moitié (57%) n’ont pas signalé l’incident ni sollicité aucune aide.).

Auteur·es de lesbophobie :

- Surtout collègues (63%), puis supérieur hiérarchique (36%), direction (9%), personnel encadré (7%)
- En majorité des hommes : 45% des cas, puis femmes dans 30% et groupes mixtes dans 25%Chiffres de l’enquête sur visibilité lesbienne et lesbophobie

Conséquences :

-Impact sur la carrière : moindre avancement, démission pour fuir un contexte de harcèlement
- Isolement, moindre sociabilité
- Séquelles psychologiques : angoisse, dépression, repli sur soi, difficulté à évoquer son homosexualité publiquement
- Tentative de suicide, suicide

Comment agir ?

Si vous subissez de la lesbophobie, orientez-vous vers un·e délégué·e syndical·e.

Si vous constatez des faits discriminants :

- Il est important de lutter et de soutenir les personnes concernées en concertation avec elles et avec leur consentement. Il est essentiel de faire en fonction de ce que souhaitent et peuvent les personnes victimes de discriminations lesbophobes.

- Il est important d’intervenir dans les conversations, de reprendre les auteurs/trices des blagues déplacées : la collègue homosexuelle saura ainsi qu’elle a des allié-es. Le soutien psychologique est important : il ne faut pas laisser une ambiance sexiste/lesbophobe s’installer. Une remarque du type « t’as pas trouvé le bon » pourrait vite devenir « je suis l’homme qu’il te faut » et être une première étape vers le harcèlement, les gestes déplacés et l’agression sexuelle. Dans les conversations, on pourrait penser à visibiliser les orientations sexuelles possibles (« Avec ton compagnon…ou ta compagne »), et ainsi faire comprendre à ses collègues que l’espace de parole est bienveillant.

Si vous accompagnez une victime de lespbophobie :

- Accompagner la victime, si elle le souhaite, pour rappeler la loi au responsable hiérarchique et lui demander de l’appliquer

- Utiliser tous les outils syndicaux existants : faire un signalement dans le RSST, solliciter le CHSCT, le CES

- Orienter sur le plan juridique en proposant par exemple l’aide de l’AVFT (Association contre les Violences faites aux Femmes au Travail) et en donnant les références législatives :

- L’article 225-1 du Code Pénal fait entrer dans le champ des discriminations les critères d’orientation et d’identité sexuelles

- L’article R 624-3 et s. sanctionne injures et diffamations non publiques liées à l’identité et l’orientation sexuelles

- L’article 132-77 du Code Pénal stipule que « dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’orientation ou identité sexuelle de la victime »

- L’article 1132-1 du Code du travail précise que « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, [...] en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge... »

En milieu scolaire pour les élèves

Les élèves lesbiennes, ou supposées telles, subissent Insultes et cyberharcèlement, agressions physiques... avec pour conséquences un décrochage scolaire, un mal-être,des pensées suicidaires.

Une lycéenne, Dinah, a été victime de harcèlement scolaire après avoir révélé qu’elle était lesbienne. Elle se suicide en octobre 2021. La lesbophobie et le racisme dont elle a été victime pendant deux ans ont fini par la tuer. Non seulement son établissement n’a pas pris la mesure de la situation, mais JM Blanquer, après le drame, n’a pas daigné mettre les mots sur les choses : les mots "lesbienne" et "lesbophobie" sont des mots qu’il n’a jamais prononcés, invisibilisant par là les origines du harcèlement subi par Dinah. Or, nommer les discriminations est un préalable essentiel pour les reconnaître et les combattre.
26 avril : journée internationale de visibilité lesbienne

Méconnue ou oubliée, cette journée internationale est pourtant essentielle pour mettre en exergue les différents enjeux des lesbiennes et bisexuelles, souvent invisibilisées au sein de sociétés patriarcales.

Ressources

Podcast :

Camille : "Gouinement lundi", "Coming In", "Quouïr", "Les contes et légendes du Queeristan", "Furies", "Gang of witches", "Intérieur Queer", " La Fièvre", "Le Lobby"

Livres :

Le génie lesbien, Alice Coffin
Peau, Dorothy Alison
Stone butch blues, Leslie Feinberg
Thérèse et Isabelle, Violette Leduc
Zami, une autre façon d’écrire mon nom, Audre Lorde
Trente-trois morceaux, Yvonne Rainer
Le manifeste lesbien, Pauline Londeix
Adieu les rebelles !, Marie-Josèphe Bonnet
La petite dernière, Fatima Daas
Les Argonautes, Maggie Nelson

BD :

La Fille dans l’écran, Lou Lubie et Manon Desveaux
Le b.a.ba du sexe entre meufs et personnes queer, Le bleu est une couleur chaude Julie Maroh
Dora de Ignacio Rodriguez Minaverry
L’essentiel des gouines à suivre, Alison Bechdel
Coming in, Elodie Font et Carole Maurel
Dans un rayon de soleil, Tillie Walden
Va chercher, Comment un méchant chien m’a montré le chemin, Nicole J. Georges
Super Rainbow, Lisa Mandel

Film :

La belle saison de Catherine Corsini
La Naissance des pieuvres, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
Carol de Todd Haynes,
Mademoiselle de Chan-Wook Park,
Pride de Matthew Warchus
Deux de Filippo Meneghetti,
Bound Lily et Lana Wachowski
Debout ! Une histoire du mouvement de libération des femmes 1970-1980, de Carole Roussopoulos,
Carmen et Lola d’Arantxa Echevarria

Sources et ouvrages cité·es :

La pensée straight, Monique Wittig
La contrainte à l’hétérosexualité, A. Rich
Enquête sur la double discrimination : homosexuelle et femme au travail, L’autre cercle, 2011
Enquête sur la visibilité des lesbiennes et la lesbophobie, SOS homophobie, 2014

SUD éducation, syndicat de transformation sociale, a pour horizon l’émancipation et l’épanouissement de tout·es. Et dans ce but, SUD éducation revendique :

-l’élaboration de matériel pédagogique spécifique sur les questions de lesbophobie
- la ré-intégration du concept de genre dans les textes officiels et sa prise en compte dans des programmes élaborés par la communauté éducative ;
- la mise en place de dispositifs dédiés (comme l’étaient les ABCD de l’égalité) permettant aux élèves de réfléchir spécifiquement aux discriminations et stéréotypes de genre, et de les déconstruire ;
- une politique de prévention (campagne d’information sur les ambiances de travail sexistes, affichage de la loi sur le harcèlement sexuel) et de suivi (accompagnement des victimes dans leurs démarches, notamment judiciaires), via les CHSCT s’agissant des cas de harcèlement, et la mise en place systématique de la protection fonctionnelle, qui est de droit ;
- la mise en place dans la formation initiale de modules obligatoires sur les problématiques de genre, pour les futur-e-s enseignant-e-s (selon un volume horaire identique dans tous les INSPE ), et pour toutes les autres catégories de personnel (CPE, agent·es) ;
- un renforcement de l’offre de formation continue sur ces questions ;

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